Roi de Camargue
ROI DE CAMARGUE
Roi de Camargue, écrit en 1890 à La Garde est le premier roman de Jean Aicard. Cet ouvrage est illustré par des dessins de Georges Roux, illustrateur des romans de Jules Verne. Il est dédié au député Emile Trélat.
L’intrigue :
Jean Aicard fait vivre avec talent la Camargue de la fin du XIXe siècle, avec ses gardians et ses traditions, ses fêtes et son pèlerinage aux Saintes-Maries.
Le Roi de Camargue est le chef-gardian Jacques Renaud, invincible sur le sable des arènes. Il est fiancé à Livette, la fille de son maître. Un avenir heureux leur semble promis lorsqu’une troublante bohémienne, la Zinzara, vient semer la discorde entre les jeunes gens…
Renaud se laisse envoûter par la bohémienne. Livette meurt d’avoir voulu surprendre les deux amants. Renaud, inconsolable, se jette dans la mer.
Les personnages :
Livette. Riche et jolie demoiselle aux « cheveux clairs filés de soleil » doit se marier avec Renaud. Elle tient son surnom de ce que toute enfant elle aimait bien les « olivettes ».
Jacques Renaud. Orphelin. Brun et beau fiancé de Livette; « le plus fier gardian de toute la Camargue ». Pauvre, mais « Roi de la lande ». Sur Blanchet, le cheval de Livette, il garde sa manade près du Vaccarès. Son amour pour Livette est « un apaisement » par rapport aux autres femmes qu’il désire parfois « un peu à la façon des taureaux de sa manade ».
Audiffret, le père de Livette. Fermier, dirige les gardians. Il n’a pas tout de suite accepté le projet de mariage de sa fille unique.
La grand’mère de Livette. Femme simple au très grand cœur.
Le curé. Il conseille à Livette de dire son chapelet, de se confier à sa grand’mère, d’éviter de venir à la ville et de fuir Renaud quelque temps.
Zinzara. « La Reine ». Mystérieuse, inquiétante, bohémienne « aux cheveux crespelés, lourds, au regard de flamme noire, à la poitrine énergique »
Rampal. Orphelin, « mauvais gueux, joueur, coureur de cabarets et de maisons louches ». Gardian sans manade. Aime la Camargue dont il connaît tous les secrets.
En Provençal dans le texte :
le dondaïre : nom d’un taureau (Le Doux).
La trantaïère : croûte à la surface du marécage.
Les canéous : roseaux.
La gargate : fange des marais.
Les lorons : puits sans fond.
La rassade : le lézard.
La pousaraque : mare artificielle.
Quelques expressions
<<Les meilleurs de nous sont des aveugles que hante le souvenir d’un éclair …
La vérité, comme l’amour, n’est qu’une seconde en laquelle il faut croire, à jamais.>>
<<La joie de l’amour n’est pas meilleure aux princes qu’aux charbonniers.>>
<<Elle est superbe et infâme, la puissance physique de l’amour.>>
Extrait du livre.
« Une ombre tout à coup obstrua la fenêtre étroite. Livette, qui allait et venait, mettant la table pour le souper, dans cette salle basse de la ferme du Château d’Avignon, jeta un petit cri de peur et leva les yeux.
La jeune fille avait deviné, senti, que ce n’était père ni grand’mère, ni personne amie, qui s’amusait à la surprendre si brusquement, mais bien une personne étrangère.
Plus étrangère, ce n’était guère possible !… Mais comment les chiens n’avaient-ils pas jappé ?… Ah ! cette Camargue, elle est bien mal fréquentée, en cette saison surtout, vers la fin du mois de mai, à cause de la fête des Saintes-Maries-de-la-Mer qui attire, comme une foire, tant de gens, dupes et voleurs, tant de bohémiens malfaisants !…
La figure qui, du dehors, s’était accoudée à la fenêtre, obstruant le jour, apparaissait à Livette en ombre noire, durement découpée sur le bleu du ciel ; mais, aux cheveux crespelés, lourds, encerclés d’un clinquant de cuivre, à la forme générale du buste, aux anneaux des oreilles, très grands, au bas desquels se balançait une amulette, Livette avait reconnu certaine bohémienne que tout le monde appelait la Reine, et qui, depuis bientôt deux semaines, apparaissait aux gens sur des points de l’île fort éloignés les uns des autres, inattendue toujours, comme surgissant des fossés, des touffes d’ajonc, de l’eau des marais, pour dire aux travailleurs, aux femmes de préférence : «Donnez-moi ceci ou cela», car la Reine le plus souvent n’acceptait pas ce qu’on lui voulait offrir, mais seulement ce qu’elle voulait qu’on lui offrit. »
« Jacques Renaud, le fiancé de Livette, était, dans cet étrange pays camarguais, «gardian» de taureaux et de chevaux, sur le domaine du Château d’Avignon.
Les «manades», ou troupeaux de Camargue, vivent en liberté, taureaux et cavales, dans la vaste lande, sautant les fossés, pataugeant dans les marais, mâchant les herbes amères, buvant au Rhône, galopant, bondissant, se vautrant, hennissant et meuglant vers le soleil ou vers les mirages, secouant à grands coups de queue les nuées de «mouïssanes» attachées à leurs flancs, puis se couchant par groupes au bord des marais, les genoux repliés sous les lourds poitrails, las et somnolents, leurs yeux pleins de rêve vaguement fixés sur les horizons.
Les gardians, à cheval, les laissent libres, mais surveillent leur liberté ; puis, selon les jours et les pâturages, courent aux manades, les maintiennent, les rassemblent, les dirigent.
De loin, ils apparaissent parfois, immobiles sur leurs chevaux blancs, la pique appuyée à l’étrier fermé, bien droits sur la selle à la «gardiane», comme des chevaliers du moyen âge qui attendent, pour entrer dans la lice, la sonnerie du héraut.
Le cheval camarguais, à forte croupe, puissant d’encolure, la tête un peu lourde, mais bon coursier, descend des cavales sarrasines et du palefroi des croisés. Il a conservé un harnachement ancien. De gros étriers fermés battent ses flancs ; la courroie large de la martingale passe, sur son poitrail, dans un morceau de cuir en forme de coeur, et la selle est un fauteuil où le cavalier s’encastre entre deux solides cloisons, celle de devant aussi haute que le dossier. »
Une critique élogieuse :
Antoine Albalat (né à Brignoles en 1856 – mort en 1935), écrivain spécialiste de la littérature française, émet une excellente critique dans la Nouvelle Revue octobre novembre 1894.
« Jean Aicard n’est ni un descriptif ni un réaliste ; il voit aigu et il voit rapide ; ce n’est pas pour accumuler qu’il insiste, c’est pour emporter le morceau. Il transfigure ses descriptions par l’imagination et la poésie, et c’est à travers ce crible. M. Jean Aicard est, dans ses livres, notamment dans le Roi de Camargue, un prosateur remarquable. C’est du fond de son âme, sans procédés et sans parti pris, que sort ce style vibrant et cursif, si vigoureusement familier, qui rêve, s’arrête, buissonne et repart avec des éclairs de flèche, jetant à chaque page des morceaux enlevés qui étonnent et secouent comme un galop de cavales. Nulle part l’auteur des Poèmes de Provence n’a déployé plus de ressources, un don d’écrire plus spontané. Une chose surtout surprenante, c’est qu’il reste partout spiritualiste, sans cesser d’être exact. Un idéaliste vrai, voilà ce qu’il est, un idéaliste qui tient la balance entre le sentiment et la vérité, le dessin et la couleur, la vie et l’exaltation. Les trois héros du Roi de Camargue sont des types d’une réalité absolue. Grâce à la mise à point vivante des êtres et des choses, qui est chez lui d’une justesse parfaite, sa bohémienne devient une création neuve et Renaud autrement véritable et autrement fouillé que les faux paysans de M. Zola. Un soulignement lyrique rappelle dans deux ou trois passages l’auteur de Don Juan ; mais M. Aicard ne perd jamais pied ; le sens de la vie le domine. Ce passionné ne sort pas de la raison. Ce rêveur est un observateur rigoureux. Si ses yeux regardent au ciel, son oreille écoute les coeurs. Il est ainsi fidèle, malgré lui, à une sorte de réalisme sans lequel il n’y a pas d’oeuvre viable, de sorte que son sujet tire justement sa profondeur d’un mélange persistant de qualités qui se complètent. Voilà, je crois, l’idée qu’on peut se faire de M. Jean Aicard romancier, tel qu’il apparaît dans son meilleur livre, le Roi de Camargue. »
Un film
Tourné à partir de 1945 Le Gardian tiré du Roi de Camargue sort le 20 mai 1946. Durée 90′.
Réalisation et scénario de Jean de Marguenat
Musique de Loulou Gasté
Le Gardian est interprété par Tino Rossi qui, sur le lieu de tournage, rencontrera Lilia Vetti (la Zinzara) qu’il épousera !