Prenez le temps de relire un beau poème…
Prenez le temps de relire un beau poème…
Paroles de sagesse
lorsque nous pleurnichons, l’univers n’en sait rien.
Il sied de supporter gaiment l’inévitable;
cette sagesse-là, seule, est la véritable…
c’est mon maître à danser, mon cher, qui me l’apprit;
c’est ce qu’il appelait danser avec esprit.
Le Manteau dur Roir (1907)
Vere novo. (Ecrit en 1865 Jean Aicard a 17 ans)
Je ne sais pas pourquoi je me crois au printemps;
J’ai l’esprit travaillé d’un mystérieux rêve:
Je me vois au milieu des arbres, et j’entends
Dans les bourgeons courir le frisson de la sève.
J’ai le cœur et les yeux tout gonflés par les pleurs.
Au fond de moi je sens un frémissement d’aile!…
Comme il doit faire bon marcher parmi les fleurs!
Sur chaque tige humide éclot une étincelle.
L’oiseau chante l’amour… Connaissez-vous les nids
Et les insectes verts dans un creux de vieux saule?
Ô charmant souvenir! Quand nous étions petits,
Nous nous grimpions, pour voir, l’un l’autre sur l’épaule.
J’ai d’étranges désirs… ainsi qu’en ont les fous!
A présent, je voudrais m’élancer dans l’espace!
Et je songe à la fois que ce doit être doux
De suivre par les blés une fille qui passe.
Un jour, ils étaient deux qui s’en allaient ainsi:
Je les vis, ces heureux, causer sous l’aubépine;
Deux oiseaux, étonnés, près d’eux chantaient aussi…
Peut-être ils sont encor dans la même ravine!
Large effluve d’amour, une immense chanson
Palpite dans les airs au temps des feuilles vertes;
Un souffle d’inconnu ranime le buisson
Et la blanche façade aux fenêtres ouvertes.
Non loin des amoureux, dans les gazons épais,
Comme la ruche à miel bourdonne une famille.
Les garçons querelleurs font la guerre et la paix;
La mère gravement parle à sa brune fille.
Le père, encor plus grave et les yeux vers l’azur,
Conte à son fils aîné les destins de l’histoire,
Et qu’il faut ici-bas, d’un cœur tranquille et sûr,
Combattre pour le droit, et jamais pour la gloire!…
Mais, vain rêveur, poète, où t’en vas-tu si loin?
Tu te livres entier au rêve qui t’emporte,
Pour revenir plus seul et plus triste en ton coin
Où les vents font trembler ta lampe à demi morte!
Toulon, décembre 1865. (Les Jeunes Croyances 1867)
Le Courage.
Le courage n’est pas seulement au soldat ;
Il n’est pas seulement à l’homme qui se bat.
Pour défendre un pays qui pense et qui travaille,
La vie est elle-même un vrai champ de bataille,
Où chaque travailleur a son courage à lui.
Fuir le travail qu’on doit, c’est encore avoir fui !
Tout le monde partout travaille dans le monde ;
Le pêcheur ne craint pas le vent qui souffle et gronde,
Il lutte avec la mer pour prendre le poisson.
Parfois le soleil tue au temps de la moisson ;
Le carrier meurt rongé de poussières malsaines ;
Le bûcheron parfois tombe du haut des chênes ;
Le maçon, le couvreur, du faîte des maisons ;
Le pauvre balayeur respire des poisons.
Mais il fait son devoir quand même en temps de peste
Le petit mousse grimpe au haut des mâts, plus leste
Qu’un singe, et quelquefois, les deux bras grands ouverts,
Tombe, en criant : « Ma mère ! » au fond des grandes mers.
Et moi, moi qui n’ai pas beaucoup de peine à vivre,
N’ayant qu’à fatiguer mes bons yeux sur mon livre,
Pour apprendre à chérir ceux qui travaillent tant.
Je dirais toujours : « Non ! » je serais mécontent !
La vie est un combat. Je veux remplir ma tâche.
Celui qui fuit le champ du travail est un lâche.
Jean Aicard Le Livre des Petits (1886)
La Devise nationale
Jean Aicard, défenseur de la République, explique aux enfants les trois symboles de notre devise nationale :
Un écolier
Trois petits mots sont écrits
Sur la façade des écoles ;
Maître, expliquez ces trois paroles.
Le maître
Ces trois mots tout petit sont de très grand symboles ;
On vivrait plus heureux s’ils étaient mieux compris,
Ces trois petits mots écrits
Sur la façade des écoles :
Liberté
Quand tu restreins mon droit pour étendre le tien.
« Je suis libre ! » dis-tu. Halte-là, citoyen !
Il faut, pour maintenir l’honneur du pays libre,
Que nos deux droits égaux se fassent équilibre.
La liberté, c’est comme une terre au soleil :
Chacun en a sa part, un morceau tout pareil ;
J’ai le mien, qu’à mon gré je bêche et j’ensemence ;
Ta liberté finit où la mienne commence.
Egalité
« Nous sommes tous égaux ! » -Jean Pierre, pas si vite !
Nos droits sont égaux, oui ; mais il faut bien savoir
Qu’on achète son droit en faisant son devoir.
Quant aux hommes, tous inégaux en mérite :
Celui-ci comprend tout ; l’autre ne comprend rien ;
Cet autre fait tout mal ; son ami fait tout bien…
Un écolier d’esprit vaut mieux qu’un imbécile ;
Un fainéant n’est pas l’égal d’homme utile.
Fraternité
Voilà le plus doux mot qu’aient inventé les hommes :
Fraternité. –Tâchons, en frères que nous sommes,
De nous chérir ; sachons nous pardonner nos tords.
Aimons le faible, ami, si nous nous sentons forts,
Et le pauvre, quand nous nous avons de la fortune.
Les hommes, tous pareils devant la mort commune,
Aigrissent leurs malheurs par des haines entre eux
Aimons, même en souffrant, nos frères plus heureux.
Cigales, mes sœurs,
Qu’importe à nos cœurs
La richesse des granges pleines ?
Pourvu que nos voix
Sonnent par les bois
Quand midi flambe sur les plaines ?
Laissons la fourmi
Se glisser parmi
L’amas gisant des blondes gerbes,
Et les noirs grillons,
Hôtes des sillons,
Sautiller dans l’ombre des herbes.
Heureuses de peu,
Pourvu qu’un ciel bleu
Resplendisse à travers les branches,
Nous, nous comptons sur
La manne d’azur
Dont se nourrissent les pervenches.
Par les froids hivers
Nous n’allons pas vers
Ceux qui n’ont pas la voix ou l’aile ;
Dès qu’a fui l’été,
Nous avons été…
Mais notre gloire est immortelle.
J’avais mis mon cœur…
J’avais mis mon cœur au cœur d’une rose…
Un charme fatal est dans la beauté ;
Je pleure en chantant : l’amour est en cause.
J’avais mis mon cœur au cœur d’une rose :
Vint un oiseau mouche : il l’a becqueté.
J’avais mis mon cœur dans une pervenche…
L’amour a bien ri, le sorcier moqueur !
Noir est le sorcier ; la magie est blanche…
J’avais mis mon cœur dans une pervenche :
Les pleurs d’une nuit ont noyé mon cœur.
J’avais mis mon cœur dans un bluet pâle…
L’amour est un rude et malin garçon.
Un dur moissonneur bronzé par le hâle…
J’avais mis mon cœur dans un bluet pâle…
Mon cœur fut fauché comme la moisson.
J’avais mis mon cœur dans la fleur des vignes…
L’amour vendangeur, qui chante en dansant,
Le vigneron ivre aux gaîtés malignes,
J’avais mis mon cœur dans la fleur des vignes,
A foulé mon cœur, piétiné mon sang !
Je mettrai mon cœur dans ta main si bonne…
Il est blessé, faible et prompt à souffrir…
Le garderas-tu ? Moi, je te le donne !
Tiens, j’ai mis mon cœur dans ta main si bonne :
Garde le, mignonne : il vient d’y mourir.
Le livre d’heures de l’Amour
Jean Aicard