Le Manteau du Roi et Edouard De Max
Le Manteau du Roi
Cette pièce en 4 actes écrite en vers est représentée pour la première fois au théâtre de la Porte Saint Martin le 22 octobre 1907. La musique de scène a été écrite par Jules Massenet.
L’histoire se déroule à une époque imprécise, en Ouranie *, pays imaginaire situé aux confins de l’Asie et de l’Europe.
Acte I : Le lit de la justice
La scène se déroule dans la salle du trône. Le roi Christian « enfant au cœur si pur » est devenu orgueilleux et méchant.
« … Ce prince criminel sans remord
Qui tout enfant était le bonheur du royaume
Pèse sur nos destins comme un mauvais fantôme. »
Il chasse son vieux ministre Joseph qui l’a élevé et reçoit l’ambassadeur d’un roi voisin à qui il livre une ville rebelle, située de l’autre côté d’un fleuve.
« …Morts ou vifs, purges en vite mon territoire
Rase leurs villes… C’est besogne méritoire »
A ce moment là une voix surnaturelle s’élève :
« Malheur au roi cruel ! Au roi lâche ! Au roi traître ! ».
Le roi en colère ordonne de rétablir la torture qu’avait abolie son père.
On amène sans ménagement un vieux père et sa fille Marie qui, stupéfaite, reconnaît dans le roi un jeune homme, autrefois charmant, dont elle était tombée amoureuse.
Apparaît alors un pauvre hère dans un manteau de bure en haillons qui déclare :
« Je viens pour t’arracher- moi- ton manteau de roi »
Christian veut que l’on s’en empare mais les paroles du Pauvre le pétrifient.
Marie et son père en profitent pour s’enfuir.
Le Pauvre conseille au bouffon du roi malicieux mais plein de logique :
« Va, porte aux malheureux le mot qui fait sourire. »
Les personnages figés soudain se réveillent et voient le Pauvre qui :
« Fuit dans l’air, sur un quadrige de feu. »
Acte II : Le fleuve de sang
La scène se situe dans la clairière d’une forêt près du fleuve.
Le père et Marie racontent aux paysans réunis ce qui s’est passé. Un bûcheron, chef des conjurés leur offre son hospitalité et réunit ses fidèles qui lui demandent de tuer le roi.
Le bouffon apparaît et donne son avis :
« Laisse à Dieu le châtiment du roi. »
Un ermite prédit au bûcheron que le roi venant à la chasse se baignera dans le fleuve et que le Pauvre en profitera pour échanger son manteau de haillons contre celui d’or et d’hermine.
En effet, le roi se baigne et tout se passe comme l’a prévu l’ermite. Le Pauvre, vêtu du manteau royal repart sur le cheval de Christian. Ce dernier essaye de prouver qu’il est le roi et appelle au secours mais personne ne le croit. Son bouffon qui l’a reconnu, laisse croire malgré tout qu’il a un fou devant lui :
« Je peux, si vous voulez, prévenir… l’asile ?
On viendra vous chercher. J’aime à me rendre utile. »
Arrive Joseph, le vieux ministre chassé, Christian essaye de regagner sa sympathie :
« Joseph, mon vieux ministre ! ô vieillard équitable …
Ami, tu ne peux pas ne pas me reconnaître »
Joseph résiste et sort en disant :
« Sois fou, pauvre homme mais n’offense pas le roi ! »
Le bouffon propose au roi de rester dans la forêt :
« Vivons y, vous roi spectre et moi bouffon fantôme
Vous, roi sans trône et moi bouffon de roi sans roi. »
Le bûcheron qui a suivi la scène jette son couteau vengeur dans le fleuve. Les conjurés arrivent, expliquent que la ville a été mise à feu et à sang, que les gens torturés sont jetés dans le fleuve, ils crient vengeance. Le roi Christian s’accuse de ces crimes mais personne ne le croit.
Acte III : L’exil dans la patrie.
Christian est toujours accompagné de son bouffon qui l’aide et soigne ses pieds meurtris :
« Moi vous quitter jamais ! Je ne sais pas pourquoi
Mais j’aime à consoler un fou qui se dit roi. »
Christian et son bouffon échappent à une troupe de bannis qui est emmenée de l’autre côté du fleuve. Un jeune enfant arrive et va chercher du secours chez son père le bûcheron.
Pendant ce temps, Christian passe par les épreuves de la faim, de la soif et du froid.
L’enfant revient avec Marie qui reconnaît en Christian le jeune homme qu’elle a aimé. Elle veut le soulager. Christian se rebelle :
« Jeune fille, vous parlez au roi ! »
Marie répond :
« Non, le roi c’est un méchant, vous vous êtes là, pauvre et malade. »
Acte IV : Le roi fait homme
Christian devenu bûcheron veut reconquérir sa couronne et son manteau. Quelques uns de ses partisans arrivent pour le rétablir et l’aider mais imposent leurs lois et désirs (devenir vice roi, ministre, prince…)
Christian se rebelle :
« Assez ! Allez vous en, vils coquins que vous êtes.
Mon père fut un roi juste et glorieux,
Je vaincrai seul et pour l’honneur de mes aïeux. »
Il les chasse mais ils reviennent le flageller au nom de l’édit de torture qu’il avait lui-même rétabli. A la limite de la mort, une longue réflexion lui permet de redevenir un bon roi.
A la fin de l’acte, Christian sur son trône redevient le roi juste et bon qui supprime l’édit de torture, réintègre son vieux Joseph et épouse Marie.
Il s’adresse à son bouffon :
« Pourquoi cet air mystérieux, mon bel ami ? »
Qui répond :
« A vivre un si beau rêve on se croit endormi,
Sire. »
Il conclut, s’adressant au public d’un air mystérieux :
« La vie, heureusement si brève,
Le passé surtout n’est qu’un rêve,
Et ce qu’on croit avoir rêvé
Pourrait fort bien être arrivé. »
* Jean Aicard a choisi le nom d’Ouranie qui était la fille de Zeus. Muse de l’astronomie habitant la montagne de l’Hélicon avec ses huit sœurs.
Un acteur original et de talent interprete le Roi Christian
L’acteur Édouard De Max (1869-1924) a joué le rôle du Roi Christian dans le Manteau du Roi dont la première eut lieu le 22 octobre 1907
Deux jours après la représentation, Eugène Silvain, alors sociétaire de la Comédie française, donne son avis à son ami Aicard. En termes très élogieux il qualifie mieux que personne le talentueux Edouard De Max
Edouard De Max est né le 14 février 1869 dans la province de Moldavie en Roumanie. Elève au Conservatoire national supérieur d’art dramatique il fréquentera de talentueux collègues puis il aura la chance de jouer auprès de Sarah Bernhardt, André Antoine…
Excellent dans la tragédie lyrique, il se fait remarquer par ses excentricités, ses tenues originales et surtout son attachement au théâtre d’avant-garde qu’il n’hésite pas à jouer sans tabou. Il aura l’audace de jouer nu aux arènes de Béziers, Prométhée, une pièce osée de son ami Lorrain. Il affiche sans complexe son homosexualité.
C’est un beau garçon dont la voix chaude et puissante garde quelques intonations de sa langue maternelle… André Gide écrit à son intention Saül. De Max est fasciné par le jeune Jean Cocteau qui a alors 19 ans. Il organise pour le faire connaître une Matinée poétique au théâtre Fémina, sur les Champs-Élysées.
En 1918, il devient sociétaire de la Comédie française. Il aime se faire remarquer, paraître. En hiver, il garnit sa voiture de couvertures de loutre bordées de renard argenté. Lorsque le décor des pièces qu’il joue ne lui plaît pas, il n’hésite pas à garnir la scène avec son propre mobilier.
Il vit avec Pierre de Massot, qui 31 ans plus jeune que lui, l’aidera et l’assistera jusqu’à son décès en 1924. Edouard De Max a 55 ans.
Pierre de Massot, écrivain lié au dadaïsme et au surréalisme est mort à Paris dans une extrême pauvreté en 1969.
Eugène Silvain écrit à Jean Aicard deux jours après la première du Manteau du Roi.
« Je sors du Manteau du Roi, les actes de la forêt, m’ont paru un peu longs et un peu obscurs, quoique les vers en soient admirables, et surtout ceux de la chanson du Bouffon, mais le quatrième acte est une des plus belles choses, des plus tragiques, des plus sublimes qui se puissent imaginer.
De Max est merveilleux, moralement et physiquement ; la scène de la flagellation a été exécutée avec une mesure, un tact, une puissance incomparable. Il dit les vers comme personne et, ce qui m’a ravi, le voila tout a fait naturalisé car il a récité tout (…) sans l’ombre d’accent roumain. Quel acteur ! et quel service il rend et rendra à la tragédie !
Espérons que Le Manteau du Roi fera courir le public et qu’il l’emportera (…) sous la Coupole. C’est la grâce que je te souhaite.
Je t’embrasse et je t’aime »
Silvain Le 24 octobre 1907
Léon Vérane, lui aussi a apprécié le Manteau du Roi
Le Manteau du roi, texte du poème de Léon Vérane écrit le 23 octobre 1907, au 74 du Cours Lafayette à Toulon
Quand le roi Christian, au palais des aïeux,
Eut recouvré la pourpre et l’or du diadème,
Et le globe et le sceptre et le pouvoir suprême,
En son sein dut bondir son grand cœur orgueilleux.
L’inconnu avait fui, juge mystérieux ;
Le manteau d’or luisait, étincelant emblème ;
Entre le fol fidèle et la reine qui l’aime
Désormais il était un grand roi sous les cieux.
Maître, il a lui pour toi le jour de la Victoire !
Pour toi sonne l’airain des clairons de la gloire !
Maître, voici le prix de l’admirable effort :
Poète-roi, voici le sceptre et la couronne,
Voici le laurier vert et la palme et le trône
Et voici le manteau tissé de pourpre et d’or !